La poésie


 

LE CANCRE

Il dit non avec la tête
mais il dit oui avec le coeur
il dit oui à ce qu'il aime
il dit non au professeur
il est debout
on le questionne
et tous les problèmes sont posés
soudain le fou rire le prend
et il efface tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et les pièges
et malgré les menaces du maître
sous les huées des enfants prodiges
avec des craies de toutes les couleurs
sur le tableau noir du malheur
il dessine le visage du bonheur

 

                                     Jacques Prévert


 

PAGE D'ECRITURE

 

 

Deux et deux quatre

quatre et quatre huit

huit et huit font seize

Répétez ! dit le maître

Deux et deux quatre

quatre et quatre huit

huit et huit font seize

Mais voilà l'oiseau-lyre

qui passe dans le ciel

l'enfant le voit

l'enfant l'entend

l'enfant l'appelle

Sauve-moi

joue avec moi

oiseau !

Alors l'oiseau descend

et joue avec l'enfant

Deux et deux quatre...

Répétez ! dit le maître

et l'enfant joue

l'oiseau joue avec lui...

Quatre et quatre huit

huit et huit font seize

et seize et seize qu'est-ce qu'ils font ?

Ils ne font rien seize et seize

Et surtout pas trente-deux

De toute façon

Et ils s'en vont.

Et 1'enfant a caché l'oiseau

dans son pupitre

et tous les enfants

entendent sa chanson

et tous les enfants

entendent la musique

et huit et huit à leur tour s'en vont

et quatre et quatre et deux et deux

à leur tour fichent le camp

et un et un ne font ni une ni deux

un à un s'en vont également.

Et l'oiseau-lyre joue

et l'enfant chante

et le professeur crie

Quand vous aurez fini de faire le pitre

Mais tous les autres enfants

écoutent la musique

et les murs de la classe

s'écroulent tranquillement

 Et les vitres redeviennent sable

l'encre redevient eau

les pupitres redeviennent arbres

la craie redevient falaise

le porte-plume redevient oiseau.

 

Jacques Prévert


 

Les crayons

Mais à quoi jouent les crayons

Pendant les récréations ?

Le rouge dessine une souris ,

Le vert un soleil ,

Le bleu dessine un radis ,

Le gris une groseille.

Le noir qui n'a pas d'idée ,

Fait de gros pâtés.

Voilâ les jeux des crayons

Pendant les récréations.

 

Corinne Albaut


Alphabet

A c'est l'âne agaçant l'agnelle,
B c'est le boulevard sans bout,
C la compote sans cannelle,
D le diable qui dort debout.

E c'est l'école, les élèves,
F le furet féru de grec,
G la grive grisant la grève,
H c'est la hache et l'homme avec.

I c'est l'ibis berçant son île,
J Le jardin sans jardinier,
K le képi du chef kabyle,
L le lièvre fou à lier.

M c'est le manteau bleu des mages,
N la neige bordant le nid,
O l'oranger pris dans l'orage,
P le pain léger de Paris.

Q c'est la quille sur le quai,
R la rapière d'or du roi,
S le serpent qui s'est masqué,
T la tour au-dessus des toits.

U c'est l'usine qui s'allume,
V le vol du vent dans la voile,
W le wattman de lune,
X le xylophone aux étoiles.

Y c'est les yeux doux du yack
Oublié dans le zodiaque,
Z le zigzag brusque du zèbre
Qui s'enfuit dans les ténèbres,

Malheureux parce qu'il est
Le dernier de l'alphabet.

Maurice Carême


Ponctuation

 

- Ce n'est pas pour me vanter,

 

Disait la virgule

            Mais, sans mon jeu de pendule,

            Les mots, tels des somnambules,

            Ne feraient que se heurter.

 

- C'est possible, dit le point.

            Mais je règne, moi,

            Et les grandes majuscules

Se moquent toutes de toi

Et de ta queue minuscule.

 

- Ne soyez par ridicules,

            Dit le point-virgule,

            On vous voit moins que la trace

De fourmis sur une glace.

Cessez vos conciliabules.

 

Ou, tous deux, je vous remplace !

 

 

Maurice Carême